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175 Joer POST – une exposition virtuelle

Exposition virtuelle Post Luxembourg
En 2017, POST Luxembourg a célébré son 175e anniversaire en tant qu’institution nationale autonome. Voilà le point de départ d’une collaboration entre l’établissement public et le C²DH, visant la création d’une exposition virtuelle retraçant l’histoire des postes et des télécommunications au Grand-Duché.

Malgré le rôle de catalyseur que POST Luxembourg a joué dans la modernisation du pays, son étude reste un sujet largement ignoré par l’historiographie grand-ducale. Ce projet vise à apporter des premiers éléments pour combler cette lacune en proposant une présentation moderne et bilingue de l’histoire de POST dans ce média essentiel du 21e siècle qu’est l’internet.

L’exposition virtuelle 175 Joer POST se base sur le concept du transmedia storytelling, expression forgée par le chercheur américain Henry Jenkins dans un article de 20031.

Il prévoit qu’une même histoire (story) soit racontée de différentes manières dans différents médias, comme la télévision, l’internet, les livres. Chaque médium apporte des informations originales, formant un ensemble d’approches et de contenus indépendants, mais interconnectés et complémentaires. Une telle démarche permet d’exploiter au mieux les avantages des différents supports.

« In the ideal form of transmedia storytelling, each medium does what it does best-so that a story might be introduced in a film, expanded through television, novels, and comics, and its world might be explored and experienced through game play.

Each franchise entry needs to be self-contained enough to enable autonomous consumption. That is, you don’t need to have seen the film to enjoy the game and vice-versa. »2

Or, si 175 Joer POST fait appel à ce concept, il en donne sa propre interprétation en ne variant non pas le médium, mais le type de présentation au sein du médium internet. Ainsi, l’exposition propose quatre modes de navigation, une chronologie, une carte interactive, une collection numérique et un ensemble d’interviews d’histoire orale portant sur des thématiques précises. Ces quatre sections peuvent être explorées de manière indépendante, tout en restant interconnectées. Elles forment ensemble les pièces complémentaires d’un puzzle.

Parcourons le site en suivant un exemple concret.

La première approche pour explorer l’histoire de POST Luxembourg est chronologique. Une ligne du temps permet à l’utilisateur de découvrir des événements majeurs dans le domaine des postes et des télécommunications depuis 1842. Les entrées sont réparties dans différentes catégories (services, infrastructure, coopération, etc.) que l’on peut afficher ou désactiver par l’intermédiaire de filtres correspondants et selon ses propres centres d’intérêts.

On peut ainsi découvrir que le Grand-Duché a entamé l’installation de téléphones fixes dans les années 1880.

 

Les entrées de la ligne du temps s’appuient sur des sources issues des archives postales. Une correspondance nous renseigne ainsi que l’évêque de la Ville de Luxembourg fut un des premiers à pouvoir bénéficier de la nouvelle technologie.

Or, un deuxième document associé à cette entrée de la ligne du temps est une carte qui montre le réseau téléphonique du Grand-Duché en 1902, soit une dizaine d’années après le lancement des téléphones dans le pays.

L’utilisateur peut alors décider d’arrêter son étude et de passer à un autre événement présenté dans la ligne du temps. Il peut cependant aussi opter à poursuivre cette piste et adopter le deuxième mode de navigation, géographique cette fois-ci.

Une carte interactive répertorie ainsi les bureaux postaux, les centraux téléphoniques et les bureaux télégraphiques avec leurs dates d’ouverture et de fermeture, chaque fois que ces informations étaient disponibles. Le filtre chronologique en bas de page permet de visualiser l’évolution des réseaux de POST Luxembourg au cours du temps.

Par ailleurs, les lacunes dans la documentation des données chronologiques des points de présence sont comblées de deux manières. D’une part une section statistique, basée sur les données publiées par l’Union Internationale des Télécommunications1 sur le Grand-Duché pour la période comprise entre 1867 et 1967, donne des indices sur l’évolution (numérique) des réseaux. D’autre part, des cartes historiques du réseau se superposent à la carte virtuelle, comme deuxième couche de visualisation.

C’est ici que l’on retrouve la carte du réseau téléphonique grand-ducal de 1902.

Une nouvelle fois, l’étude pourrait se terminer ici. L’expérience peut cependant être prolongée grâce au troisième mode de navigation proposé, à savoir l’approche thématique.

Cette section, représente certainement la plus grande innovation par rapport à l’exposition digitale Éischte Weltkrich1, la première exposition virtuelle publiée par le C²DH. S’éloignant d’une présentation dominée par le textuel, les dossiers thématiques de 175 Joer POST sont ainsi des interviews d’histoire orale. Les entretiens passés avec des employés actuels ou retraités de POST sont centrés sur des événements essentiels que ces acteurs, devenus experts, ont encadrés ou vécus de première main pendant leur carrière auprès de POST Luxembourg. Par souci d’authenticité, les interviews ont été menées en luxembourgeois, langue maternelle de tous les témoins, mais nous proposons une traduction simultanée en français et en allemand pour conserver le caractère bilingue du site.

L’utilisateur en quête d’informations sur le réseau téléphonique luxembourgeois peut ici découvrir des éléments sur la digitalisation progressive de cette infrastructure, voire étudier l’introduction du standard GSM au Luxembourg. Les technologies ne cessent d’évoluer et les experts qui ont contribué à ce développement sont les mieux placés pour en donner une narration trépidante2.

  • 1. C²DH, Éischte Weltkrich. Remembering the Great War in Luxembourg, [en ligne], https://ww1.lu. (Page consultée le 10.10.2019 ; dernière mise à jour : s.d.)
  • 2. Les résultats découlant de l’histoire orale, malgré les opportunités qu’elle offre, doivent être soumis à une critique scientifique rigoureuse. Pour les difficultés liées à la sélectivité et les erreurs de la mémoire et le caractère non généralisable des souvenirs humains, voir par exemple : Sabrow M., « Der Zeitzeuge als Wanderer zwischen zwei Welten », in Sabrow M., Frei N. (éd.), Die Geburt des Zeitzeugen nach 1945, Göttingen, Wallstein Verlag, 2010, p. 25. ; Plato A. von, « Zeitzeugen und die historische Zunft. Erinnerung, kommunikative Tradierung und kollektives Gedächtnis in der qualitativen Geschichtswissenschaft – ein Problemaufriss », in BIOS : Zeitschrift für Biographieforschung, oral history und Lebensverlaufsanalysen, n° 1 (2000), p. 9.

Par ailleurs, chaque dossier thématique est accompagné de sources issues des archives postales ou des archives personnelles des témoins. Elles illustrent, appuient et surtout prolongent le contenu communiqué dans la vidéo.

En ce sens, la section thématique représente à elle seule une forme de transmedia storytelling, alliant les interviews d’histoire orale à des documents historiques dans une structure complémentaire et interconnectée.

L’utilisateur peut ainsi explorer une carte du réseau national des câbles de jonctions en 1975 dans le dossier thématique sur la digitalisation des réseaux.

Tous ces documents d’archives intervenant dans les sections chronologique, géographique et thématique de l’exposition virtuelle sont centralisés dans une collection numérique, représentant le dernier mode de navigation proposé.

La collection représente le cœur de l’exposition virtuelle. Elle propose une visualisation adaptée pour chaque type de document, PDF, image ou vidéo. De plus, le C²DH a réalisé des prises 360° à haute résolution d’une vingtaine d’objets. 24 photos individuelles forment un tour complet de l’objet et peuvent être consultées à 6 niveaux de zoom optique, sans la moindre perte au niveau de la précision de l’image.

L’utilisateur intéressé par le téléphone peut notamment explorer le fin détail d’un répétiteur d’impulsions, élément crucial des centraux téléphoniques EMD à partir des années 1950. De manière générale un moteur de recherche intégré, ainsi que la possibilité de filtrer les documents par année et par type assure une nouvelle fois une expérience individuelle.

175 Joer POST ne prétend pas à présenter une histoire complète et exhaustive de POST Luxembourg. Au contraire, la structure de l’exposition est ouverte et appelle à des ajouts, extensions et modifications dans le futur. Elle offre enfin l’avantage de créer une interface qui s’adresse à un large public et à des utilisateurs de différents degrés d’expertise en la matière des postes et des télécommunications.

Concluons notre présentation en signalant que la collaboration entre POST Luxembourg et le C²DH donnera également lieu à une thèse de doctorat sur les relations internationales de l’institution et le rôle de ses experts dans les organes internationales des (télé)communications. Cette thèse représentera au final un deuxième médium qui retracera une partie de l’histoire de POST Luxembourg et attribuera au transmedia storytelling le sens que Henry Jenkins lui conférait en 2003.

 

Auteurs:

Gilles Lanners

Aurélia Lafontaine