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Le banquet des fraudeurs (H. Storck) et Sündige Grenze (R. A. Stemmle). Frontières en regard(s)

Le banquet des fraudeurs (1952) apparaît comme une œuvre atypique dans la filmographie de Henri Storck. Anomalie dans une carrière principalement dédiée au documentaire pour les uns, film hybride de multiples concessions ou instrumentalisations politiques pour les autres, ce premier long métrage de fiction tourné pour partie dans ce que deviendra l’Euregio Meuse-Rhin, résiste a priori à bien des grilles d’analyse développées au contact de la riche filmographie du cinéaste belge. L’hétérogénéité stylistique du film n’y est pas pour rien. Tour à tour comédie pastorale, film noir, ou film de propagande, Le banquet des fraudeurs semble être irrigué selon les séquences par le cinéma du front populaire, le « Trümmerfilm » allemand, le film noir, ou encore des fictions soviétiques de la fin des années 1920.
En vis-à-vis de cette hétérogénéité première que nous rappellerons en introduction, notre communication ambitionne d’identifier les déterminants historiques, économiques et politiques d’un film qui est aussi, à bien des égards, une œuvre rendant très précisément compte des multiples voies, parfois contraignantes, qui s’offrent à un cinéaste belge de renommée internationale à l’entame des années 1950. Pour ce faire, nous procéderons en trois temps. Dans la première partie de notre intervention, nous reviendrons sur la genèse politique et économique du film en nous attardant non seulement au rôle déterminant joué par Charles Spaak, mais aussi à celui, plus discret, d’Eugen Kogon. Nourris par ces premiers éléments, nous proposerons ensuite une analyse de quelques composantes dramaturgiques du film, en insistant notamment sur la mise en scène, complexe mais essentielle pour l’identification du public cible du film, du multilinguisme. Enfin, dans un troisième temps croisant les enseignements des deux premières parties, nous tenterons de dresser un tableau clair de la thèse politique défendue par le film, et plus particulièrement de l’usage qui est fait de la création du BeNeLux que le film instrumentalise au service d’une autre union, plus qu’il ne la documente.
D’un point de vue méthodologique, les trois temps rapidement exposés ici seront cadrés par une approche comparative. Un an avant Le banquet des fraudeurs, Robert A. Stemmle réalise Sündige Grenze (« Frontière du péché », 1951), un drame social dont l’intrigue se déroule à son tour au sein du milieu des fraudeurs (belgo-)allemands, vus cette fois depuis l’autre côté de la frontière. Sans surprise, les conditions économiques et politiques de réalisation du film allemand diffèrent radicalement de celles du long-métrage de Storck. L’écriture du film elle-même n’entretient que peu de points de similitude avec Le banquet des fraudeurs. Et enfin, le programme politique de Sündige Grenze destiné au public allemand d’après-guerre est a priori aux antipodes de celui que nous aurons identifié chez Storck. Toutefois, au-delà de nombreux points de divergence qui agiront comme autant de révélateurs, les deux œuvres entretiennent aussi quelques similitudes plus inattendues auxquelles nous nous arrêterons dans chacune des trois parties de notre communication. Pour n’en citer que quelques-unes, mentionnons notamment : le rôle qu’Eugen Kogon a joué dans le montage financier des deux œuvres, leurs collaborations respectives avec Charles Spaak ; les situations particulières de Storck et Stemmle, gérant tous deux au début des années 1950, certes à des degrés divers, un passé potentiellement compromettant ; l’usage que les deux metteurs en scène font du Westwall comme élément de décor ; les libertés qu’ils prennent avec une cartographie du territoire frontalier recomposé pour les besoins respectifs de leurs deux scénarii.

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